Il n’était pas bourré, Ciaràn, ce soir là. A vrai dire tout aurait même dû être totalement normal : une soirée banale en somme. De retour depuis peu dans la capitale, il avait d’abord erré dans les rues avant d’être repêché misérablement par une Daegan salvatrice et puis la vie avait repris son cours, bien moins trépidante que ce dont il avait l’habitude et pour cause : il passait de pays en pays. Sans attache. Totalement libre. Totalement seul aussi mais il n’en avait cure à ce moment là. Il était dans une période de pur égoïsme à laquelle se mêlait un instinct profond de protection pour ceux qu’il aimait. Il pensait devenir totalement cinglé, voyant ces flashs incompréhensibles. Il avait donc fui. Sans se retourner. Sans dire au-revoir. Et si certaines personnes ne lui avait pas porté griefs, d’autres étaient on ne peut plus remontés et il ne pouvait que les comprendre. C’est Anthéa qui lui avait trouvé son job au Jolly Imp. En y repensant, il avait quand même eu de la chance dans toute cette histoire : logement et job. Lui qui était devenu un moins que rien avait réussi un tant soit peu à retomber sur ses pattes, mais pour combien de temps ? Nul ne saurait le dire. Et surtout pas lui.
Ce soir-là au Jolly Imp était un soir comme les autres, ni plus ni moins. Ni Ace ni Rohan n’était venu égayer la soirée mais il avait eu Anthéa pour lui redonner quelque peu le sourire et oublier ses mains qui tremblaient et son envie d’alcool. Il ne savait pas si elle connaissait son petit problème de bouteille mais si elle en avait eu vent elle ne pipait mot et se contentait d’être là. L’une de ses plus vieille et proche amie. Et plus si affinité. Il n’était pas rare qu’ils finissent tous les deux dans un lit le soir venu. Réconfort mutuel dans un monde qui les avait sûrement un peu trop malmené. En riant elle lui balance un torchon à la tête en lui intimant « Va donc laver les tables Maxwell, elles sont dégueulasses ! Fais ton boulot un peu ! » Son ton taquin avait fini par le revigorer et même s’il traînait un peu les pieds il ne rechignait tout de même pas vraiment à la tâche. Après tout il devait payer sa part de facture et de loyer à la fin du mois. C’est à ce moment-là qu’il entra, Achille. Ciaràn n’avait pas eu l’occasion de le revoir, n’osant pas vraiment se présenter devant ceux qu’il avait lâchement abandonnés. Il s’en voulait terriblement à lui-même et ne pouvait que deviner l’amertume de ceux qui l’avaient vu revenir sans un seul mot. Ils étaient amis après tout. Et il comprenait qu’Achille soit en rogne. Mais c’était peut-être un peu trop pour un départ sans au-revoir. Perplexe, un sourcil rehaussé, Ciaràn s’approche du DiFazio et ne peut que dire : « Content de te retrouver mon gars … »

a long time ago, we used to be friends.

Le whisky pur feu avait une délicieuse couleur ambrée, que tu ne te lassais pas d'admirer alors même que tu faisais tourner avec lenteur le liquide au fond de ton verre. Après quelques verres, tu devenais toujours admiratif des petites choses de la vie. Peut-être qu'au fond, l'alcool n'avait pas un si mauvais effet sur toi. Sauf lorsque, bien sur, il te poussait à te battre. Ou à tromper ta petite amie. Ou à débiter des tas de choses qui auraient dû rester secrètes. Enfin, l'alcool – et en particulier le whisky pur feu – avait tout de même cette splendide qualité qui consistait à faire taire ta conscience, tes regrets et tes pensées en général. Tu ne vivais plus que sur l'instant, oubliant tout le reste du monde autour de toi. Et c'était délicieux, comme sensation, d'autant plus que, Merlin seul savait à quel point, tu avais besoin de n'être plus qu'une coquille. Anthéa, Ulysse et tellement d'autres idiots. Tous bien décidés à te gâcher la vie. Il ne te restait plus grand monde sur qui compter, tu devais bien le reconnaître. Excepté Noah et Robyn, les autres n'étaient que des connaissances. Ou, pire encore, des fans. Ces milliers de gens qui t'adulaient pour ton poste au sein de l'équipe de Quidditch, qui se vantaient de t'apporter tout leur soutien. N'empêche qu'au final, une fois les projecteurs éteins, tu te retrouvais tout de même seul. Avec ta bouteille et tes conquêtes. Les deux seules choses qui te permettaient de garder la tête hors de l'eau, surtout ces derniers temps. Tu étais tellement attaché à ta liberté, à ton indépendance, que tu avais foutu en l'air tout ce que tu possédais. Ta famille, dans un premier temps. Et la seule fille que tu ais jamais réellement aimé, en second. Mais, malgré tout, malgré le manque que tu éprouvais parfois d'eux, tu n'arrivais pas à regretter ton choix. Tu n'étais pas encore prêt à t'engager réellement. Au fond, tu n'étais qu'un enfant dans un corps d'adulte, à la recherche de l'adulation et de l'affection de tous. Tu voulais vivre ta vie sous les projecteurs et enfin pouvoir lire de la fierté dans les yeux de quelqu'un. Étais-ce donc trop demandé ? Noah avait tout eu, lui, de même que beaucoup d'autres. Peut-être avais-tu été maudis dans une autre vie, tout simplement. Vidant d'un trait ton énième verre de la soirée, afin de cesser de penser, tu sentis quelqu'un s'approcher de toi. Tournant légèrement la tête de côté, tu croisas un regard bleuté que tu pensais pourtant disparu. Une crinière indomptable et un sourire qui avait fait ses preuves auprès des filles. Ciaràn Maxwell. Ton ancien compère qui t'avait abandonné, toi et des dizaines d'autres. Un de plus dans la longue liste des gens qui t'avaient finalement tourné le dos. « Content de te retrouver mon gars … » Tu serras les dents, tentant de faire refluer la colère qui se déversait pourtant en toi. Il était parti et cela t'avait fait mal. Très mal. Pourtant, ce n'était pas le pire, dans cette histoire. Tu avais appris bien pire, à son sujet. Une véritable trahison. Lui qui se disait pourtant ton ami. « Pas aussi content que lorsque tu t'envoyais en l'air avec Anthéa cependant, je suppose, n'est-ce pas ? » Tu fis signe à un serveur de t'apporter un nouveau verre. Avec l'arrivée impromptue de Ciaràn, ton besoin d'alcool ne faisait que d'augmenter. Et tu pouvais sentir, d'hors-et-déjà, que cette soirée allait très mal finir. « Ne jouons pas aux faux semblants, Ciaràn, nous avons dépassé l'âge. Tu n'as pas besoin de mon accord pour te la faire, d'autant plus que nous ne sommes plus ensemble. »